Introduction Architecture sensorielle
Dès que nous entrons dans un lieu, tous nos sens participent instantanément à la découverte de l’espace. La lumière, les sons, les matières, les odeurs tissent une expérience unique qui façonne notre perception et influence directement nos émotions et notre bien‑être.
Ce constat est au cœur de la neuroarchitecture, de la biophilie et du design centré sur l’humain : il s’agit de donner vie à l’architecture en misant sur l’éveil des sens.
Cet article met la sensorialité au cœur de la conception spatiale : plutôt que de subir un environnement, choisissons de l’incarner pleinement.


1. Sensorialité : le socle de l’expérience spatiale
L’expérience spatiale n’est pas un phénomène purement visuel. Chacun de nos cinq sens contribue à la perception globale : Nous avons longtemps opposé le cerveau au corps, l’esprit aux ressentis, hors António Damásio, neurobiologiste nous a prouvé que cette dualité n’existe pas.
« Nous ne pensons pas seulement avec le cerveau : nous pensons avec tout notre corps. »
— António Damásio, neurobiologiste
Au cours de notre vie nos sens sont mis en éveil : dans un espace, la lumière caresse notre peau et nos yeux, les parfums se répandent dans l’atmosphère, les sons rythment notre attention, les textures sollicitent notre toucher.
Bien plus qu’un simple décor, l’architecture façonne notre humeur, nos émotions et même notre santé.
La vue (sens le plus utilisé en architecture: style, tendances)
Couleurs et contrastes: ils orientent notre humeur, certaines teintes vont plus ou moins activer notre système nerveux. Les palettes chaudes (ocre, terracotta) génèrent un sentiment de confort ; les tons froids (bleu, vert) invitent à la détente ou à la concentration.
Lumière : naturelle ou artificielle, elle module l’orientation temporelle (cycle circadien), influence la production de mélatonine et agit sur notre attention. Une illumination basée sur notre rythme circadien aura pour effet de favoriser un sommeil réparateur et une meilleure santé.
La lumière naturelle qui évolue au fil des moments de la journée/ des saisons rythme le passage du temps et ancre le lieu dans son contexte temporel et géographique.
L’ouïe
Une ambiance acoustique définie peut impacter et moduler notre niveau de stress et notre concentration (ex: ambiance feutrée vs ambiance avec beaucoup d’écho, bruits de la nature vs bruit constant du trafic routier).
Acoustique : un environnement feutré (tissus, panneaux absorbants) limite la pollution sonore, permet de maitriser la résonance et favorise la concentration. À l’inverse dans certains espaces qui demandent à favoriser un état dynamique, des matériaux réfléchissants pourront être mis en place.
Paysages sonores : l’intégration de sons naturels (chuchotement d’une fontaine, bruissement de feuillage) réduit le stress et améliore la qualité cognitive. Ces solutions peuvent être utilisées dans des environnement bruyants comme des espaces d’open space afin de « masquer » les bruits indésirables de façon positive.
L’odorat
Il permet de tisser un lien émotionnel direct avec l’environnement construit (effluves végétales, chaleur des matériaux). Ce sens est très particulier, car il est lié directement à notre mémoire, il est donc important de prendre en compte l’histoire « olfactive » des personnes pour éviter que ces stimuli renvoient à de mauvaises expériences passées.
Odeurs évocatrices : les fragrances subtiles évoquant la nature comme le bois fraîchement scié, la terre humide ou les huiles essentielles agissent comme un « pont émotionnel » fort; ils suscitent des souvenirs et induisent un état de calme ou de vivacité.
Contrôle subtil : des diffuseurs programmés peuvent alterner senteurs toniques au matin et fragrances apaisantes en fin de journée. L’aromathérapie ciblée dans des espaces de détente ou de soin peut permettre d’installer un état de sérénité significatif chez les usagers.
Ce sens est très particulier car il est lié directement à notre mémoire, il est donc important de prendre en compte l’histoire « olfactive » des personnes pour éviter que ces stimuli renvoient à de mauvaises expériences passées.


Le toucher
La peau, plus grand organe du corps humain, est capable de percevoir la pression, la vibration, la température et la douleur. Véritable interface entre l’environnement et le système nerveux, elle transforme chaque contact en une information sensorielle essentielle à notre perception et à notre bien‑être. Le toucher (textures des parois, mobilier, sols) influence notre confort et notre sentiment de sécurité.
Textures : la friction d’un béton poli contraste avec la rugosité d’un torchis, engageant le cortex somatosensoriel et renforçant l’ancrage corporel. Les textures contrastées (lisse / brute, piquant/ doux) enrichissent la relation physique au lieu.
Température : le toucher des matériaux (bois chaud, pierre fraîche) n’est pas une sensation uniquement physique : elle véhicule immédiatement une impression de confort, de sécurité ou au contraire, d’inconfort et de distance à l’utilisateur. Ce contact sensoriel avec les matériaux peut également aider à l’autorégulation thermique de notre corps.
Le goût
Bien que le goût soit souvent relégué aux espaces dédiés à la restauration, il peut jouer un rôle subtil et puissant dans l’expérience spatiale, en prolongeant l’immersion sensorielle et en renforçant le lien émotionnel avec un lieu.
En combinant ces entrées sensorielles, l’architecte peut orchestrer une partition spatiale, favorisant l’attention, la détente, la créativité ou le lien social, selon l’usage.
Ces inputs sensoriels forment un tapis synesthésique unique, qui détermine la manière dont nous « vivons » un espace. Les architectes et designers engagés en human-centered design explorent ces phénomènes pour orchestrer des ambiances favorables à l’épanouissement, à la créativité ou à la détente.


2. Neuroarchitecture : comprendre comment le cerveau « ressent » l’espace
Lorsque j’ai commencé à me former en Neuroarchitecture, je pensais que mon exploration allait se limiter aux sphères cérébrales… Mon plus grand étonnement a été de constater que la Neuroarchitecture allait me faire revenir aux sujets de l’incarnation, de la sensorialité, de la sensibilité. C’était pour moi des champs bien distincts et j’ai mis du temps à me familiariser avec cette notion d’échange constant entre l’environnement, le corps et le cerveau.
« Voir, toucher, entendre, goûter, sentir : l’architecture doit devenir un art des sens, non plus seulement un art visuel. »
— Juhani Pallasmaa, architecte et théoricien
La neuroarchitecture s’appuie sur les découvertes en neurosciences pour analyser comment chaque stimuli (captés par nos organes sensoriels) influe sur le cerveau et le système nerveux. Pour donner quelques exemples:
- Lumière naturelle qui passe par vos fenêtres : l’exposition à la lumière du jour active le cortex pré-frontal, responsable de la régulation émotionnelle et améliore la sécrétion de sérotonine, génératrice de bien‑être.
- Les formes organiques de votre mobilier : l’observation de courbes et de motifs biomorphiques réduit la concentration de cortisol, hormone du stress et favorise un sentiment de sécurité.
- Les textures variées de vos intérieurs : la diversité tactile stimule le cortex somatosensoriel, intensifiant la sensation de présence et d’ancrage dans l’espace.
En s’appuyant sur la neuroarchitecture, les concepteurs peuvent proposer des ambiances personnalisées et adaptées aux besoins spécifiques de chaque personne.
3. Vers une conception sensorielle humaniste
La neuroarchitecture, la biophilie et le design centré sur l’humain convergent pour créer des lieux qui parlent directement à notre corps et à notre esprit.
Les nouvelles connaissances des neurosciences appliquées à l’architecture ouvrent la voie à un design sensoriel : en testant et en mesurant les réactions (via capteurs de rythme cardiaque, EEG, questionnaires auto‑rapportés, outils d’eye‑tracking…), on peut ajuster les ambiances lumineuses, sonores et olfactives pour optimiser le bien‑être et la concentration.
La biophilie nous reconnecte à notre affinité innée pour le vivant — des conceptions d’espaces faisant référence à la nature offrent un continuum visuel, olfactif et acoustique apaisant qui améliore tension artérielle et humeur.
Enfin, le design centré sur l’humain orchestre ces leviers sensoriels au plus près des besoins réels et particulier de chaque usager. Dans ce nouveau paradigme, l’humain est mis au centre de la conception architectural, permettant à l’entièreté du projet d’être considéré dans le seul but de supporter son bien-être et sa santé au quotidien.


Conclusion
En plaçant la sensorialité au cœur de la conception spatiale, nous passons d’une architecture subie à une architecture incarnée. La neuroarchitecture nous offre les clés pour comprendre comment le cerveau réagit, la biophilie nous connecte au vivant et le design centré sur l’humain nous guide dans le processus de conception de ces ambiances. Ensemble, ces approches permettent de créer des lieux qui non seulement répondent à des fonctions, mais nourrissent également nos émotions, notre santé et notre créativité.
À l’heure où nous passons la majeure partie de notre vie à l’intérieur, ces approches offrent un formidable levier pour repenser notre quotidien… et réinventer l’art de vivre et ressentir l’espace.